UN AIGLON À REDÉCOUVRIR
Charles Mérouvel est l’un des romanciers populaires les plus brocardés par les esprits forts, non pas tant pour les défauts de son œuvre que pour les titres de ses romans.
Il avait inauguré la célèbre collection à 65 centimes, « Le Livre Populaire », édité par Fayard. Aux yeux de beaucoup, à la veille de la guerre de 1914, ses romans populaires étaient écrits pour l’abrutissement des masses laborieuses. Combien parmi ces censeurs s’étaient donné la peine de les lire ?
Si les livres de Charles Mérouvel sont aujourd’hui démodés, ils ne le sont pas plus que ceux de Paul Bourget, Paul Adam, Marcel Prévost ou Claude Farrère. Il fut avec Jules Mary, et bien d’autres, un des maîtres du roman populaire mondain qui irrite souvent par sa complaisance dans la description de la vie des classes aisées, à la fin du XIX° sicle, avec hôtels particuliers, châteaux en province, nobles châtelaines, traîtres à monocles, et où le peuple n’apparaît guère que sous la livrée de domestiques tantôt dévoués corps et âmes à leur maîtres, tantôt envieux, sournois et méchants.
Pourtant, à bien y regarder, on trouve chez Mérouvel une grande générosité de cœur et de pensée, mais aussi un regard à la fois critique et blasé sur ce milieu. L’auteur cherchant à dépeindre les dernières années d’un monde condamné, vivant sur lui même de ses souvenirs et de sa grandeur passée sans prise sur l’avenir.
Il n’est pas, comme son contemporain Zola, qui ne connaît le grand monde que par les ragots des domestiques. C’est par sa méditation sur la vanité de cette haute bourgeoisie qu’il porte un regard nuancé sur les hommes et les choses.
Né Charles Chartier, le 1er Décembre 1832 à L’Aigle, d’Armand Chartier et de Valérie Touchard, ses parents tenaient une épicerie mercerie gros et détail rue Thiers, ainsi qu’une petite fabrique de cierges et chandelles. Son père tenait souvent l’orgue de saint Martin. Il prit plus tard son pseudonyme de Mérouvel du nom de ce hameau de L’Aigle, où il possédait une propriété où habitait encore sa petite fille, mademoiselle Mouchel.
Ils eurent six enfants dont les deux premiers moururent prématurément. Charles, ainsi que son frère Henri, fit de brillantes études au petit Séminaire de Sées. Il obtint son baccalauréat en 1853 et fut placé à Paris chez un notaire, Me Denormandie.
En 1856, il se fit inscrire au barreau de Paris comme avocat, puis à celui de L’Aigle l’année suivante. Ces activités l’inspireront plus tard pour ses romans.
En 1857, il épouse Camille Vantillard âgée de dix-huit ans, fille de l’industriel. Le jeune couple s’installa à Paris où il dévora rapidement sa petite fortune. De leur union naîtront un garçon et trois filles.
Revenu à L’Aigle comme avocat, il fut attaché à l’étude de Me Beautier, notaire, pour le commerce des biens. Il habitait une belle maison de la rue Saint Jean. Sa fille aînée Jeanne et son fils Charles y naquirent. Il vendit ensuite cette maison à des amis, les Maillard et sa deuxième fille vint au monde dans une autre maison au 34 de la même rue. La troisième, Charlotte, devait naître à Mérouvel dans la demeure qu’il avait fait construire en 1867, après le passage de la ligne du chemin de fer. Le terrain touchait celui de ses beaux parents.
Aimant par dessus tout la vie champêtre, les longues promenades en forêt et la chasse, Charles Chartier était un fort bel homme de grande taille, vêtu élégamment et bien que d’origine modeste sa prestance était celle d’un gentilhomme campagnard.
S’il n’avait pu effectuer son service militaire en raison d’une forte myopie, ce qui l’amena à toujours porter lorgnons, il ne s’en distingua pas moins comme franc tireur pendant la guerre de 1870. Par arrêté préfectoral du 23 Octobre 1870, il fut autorisé à organiser un corps de francs-tireurs dont il aura le commandement avec le titre de capitaine dans l’avant garde du général Malherbe.
On rapporte à ce sujet une embuscade en forêt de L’Aigle, le long de la route à l’endroit dit de « La Briqueterie » où cinq (six selon les sources) ulhans devaient trouver la mort. Leur officier, que sa cuirasse avait protégé, tomba de cheval, sous le choc la pointe de son casque lui défonça le crâne. Ce casque et les armures furent remis à la mairie de L’Aigle avant la guerre de 1939, mais on ne sait ce qu’ils sont devenus. Ce fait d’armes fut repris dans un de ses romans, Les Trémor, mais il le situa dans le Morvan.
Après cet événement les Prussiens voulaient se venger en brûlant Mérouvel. Camille partit avec les trois enfants se cacher dans une ferme nommée le Perron, à Saint Symphorien. Les francs tireurs venaient y chercher une marmite de soupe portée par deux hommes tenant un long bâton sur leurs épaules, il faisait un froid terrible, il gelait dans les pauvres maisons. Toute l’armée du Prince Frédéric Charles défila sur la route Paris Granville.
Enfin, la guerre terminée, ils revinrent dans leur maison de Mérouvel où naquit leur dernière fille Camille et Charles reprit ses fonctions d’avocat à L’Aigle.
Pendant ses loisirs Chartier écrivait, d’abord des articles dans un journal local sous le pseudonyme de Saint Yves. Il voyageait beaucoup pour son activité de commerce de biens immobiliers. De cette activité il prit le goût d’investir dans des propriétés foncières et acquit la parfaite connaissance des châteaux et parcs qui lui serviront de cadre pour ses romans. On sent chez Mérouvel l’amour des bois, des hautes futaies, des vastes clairières. C’est parmi ces paysages de forêt que se situent ses meilleures pages.
Ses ambitions littéraires avaient pris la forme, dès 1853 à l’âge de 21 ans, d’une pièce « Peines d’amour » qui fut reçue plus tard au Théâtre Français. En 1876, il décida de revenir à Paris pour tenter fortune en écrivant des romans feuilletons pour les journaux.
Ce n’est qu’à 42 ans qu’il prit le pseudonyme de Charles Mérouvel et devint le romancier populaire que nous connaissons. Pendant 45 ans il ne cessa de publier au rythme de plusieurs volumes par an. Devenu célèbre, Jean Dupuy l’appela pour écrire des feuilletons dans « Le Petit Parisien » qu’il venait de fonder.
Puis ses romans furent édités en librairie chez « Dentu » repris plus tard par Arthème Fayard. C’est ce dernier qui inaugurera sa fameuse collection du Livre Populaire, très recherchée des collectionneurs, par « Chaste et Flétrie » en 1890. Fort bien construit et mené, ce n’est pourtant pas le meilleur de l’auteur.
Le « Péché de la Générale » est certainement l’ouvrage le plus caractéristique de cette première période, roman à l’intrigue assez simple bâti comme une pièce en trois actes et non dénué d’ambitions littéraires. Plus tard, il compliquera ses intrigues, usera des vieilles ficelles du métier, mais toujours porté par un canevas très précis. Puis Mérouvel écrira uniquement pour « Le Petit Parisien », dont il deviendra le feuilletoniste attitré.
S’il désapprouve le fantastique social à la Eugène Sue ou à la Ponson du Terrail, où une belle jeune fille se voit contrainte par son entourage d’épouser un riche vieillard. On retrouvera néanmoins plusieurs fois ces unions mal assorties, basées sur l’argent.
Le petit monde de Mérouvel est assez restreint. C’est d’abord une noblesse sans fonctions dont les revenus proviennent de vastes domaines campagnards, où seules les carrières dans l’armée ou la diplomatie semblent autorisées, passant une partie de l’année dans leur château en province, l’autre à Paris, dans leur hôtel particulier proche du Bois de Boulogne ou du Parc Monceau.
Parfois Mérouvel renouvelle son inspiration. Ainsi « La Veuve au cent millions » met en scène madame Boucicaut, la fondatrice du Bon Marché, qu’il connaissait bien. Ou bien encore une rivalité entre deux frères, « L’étranger », voire même un roman d’espionnage « Alliée ». Si son préféré reste « Damnée », il aurait aimé écrire des romans historiques comme il le fit avec « Thermidor »..
Ses romans connurent, dès leur publication, un très gros succès. C’est certainement par le feuilleton qu’il sut retenir ses lecteurs, maîtrisant parfaitement l’art du suspense qui s’appelait alors « la suite au prochain numéro ».
S’il a placé ses romans dans des châteaux un peu partout en France, c’est principalement dans sa Normandie natale, la région entre L’Aigle et Mortagne qu’il décrit toujours avec une certaine tendresse. S’il a décrit aussi la côte, il affectionnait le Cotentin, sa prédilection ira à la forêt normande, ainsi qu’à celle de Compiègne où il allait à la chasse, proche de son moulin de Bailly dans l’Oise. Peu après, il fit également l’acquisition de la terre de Surmont une propriété de 135 hectares, ferme et bois ayant appartenu aux comtes de Puisaye, gouverneurs de la province du Perche, qui habitaient Mortagne. Après Surmont, il acheta en 1898 la terre de Fel, près de Chambois, au marquis de Chasseloup-Laubat. Ses parents s’étaient mariés dans l’église de Chambois. Puis encore une villa, boulevard de Hautpoul à Trouville, enfin un immeuble à Paris rue Bassano.
À Paris, il fut un habitué d’un cercle d’arts et de lettres, le Cercle des Capucines, dans la rue éponyme, dont il fut même un temps le président. Chaque mois, ce Cercle, un des plus distingué de la capitale, permettait d’avoir un invité. Ainsi Mérouvel y présenta André Gide, qui habitait alors le château de la Roque-Baignard, dans le Calvados.
Gide se plaignit un jour que son régisseur le volait, Mérouvel lui offrit de reprendre son domaine, sauf le château.
Mérouvel, meilleur administrateur, fit prospérer cette propriété qui appartient aujourd’hui à une de ses petites filles, Melle Davis (1).
C’est également dans ce Cercle qu’il côtoya un monde étranger assez disparate de sud-américains, de levantins… qu’il croqua en personnages plus ou moins sympathiques dans ses romans.
Un de ses grands amis, avocat à l’ambassade de Russie, s’appelait Barkowski, dit Barkof. Un autre, le prince Don Jaime de Bourbon, aimait qu’on l’appelât Monseigneur.
De son fauteuil à l’Opéra ou sous les lustres du Palais Garnier, il se passionna pour nombres d’artistes, de musiciens ou de spectateurs, principalement féminins, que l’on retrouvera dans plusieurs romans.
Mérouvel vivait une partie de l’année dans ses nombreux domaines. Elégant à la ville, on le croisait à la campagne avec un vieux pantalon à carreaux. Il travaillait beaucoup. Il aimait à parcourir les champs et les forêts des environs dans une petite voiture attelée d’un cheval blanc qu’il conduisait tout près du fossé par peur des autos qu’il détestait à cause de leurs sirènes.
Commençant à écrire très tôt et souvent jusque tard dans la nuit, il portait des manchettes en batiste, se servait d’un porte plume en liège et de plumes d’oie, tout comme Paul Léautaud, couvrant les pages d’une écriture très difficile à déchiffrer. Devenu veuf en 1900, il vivait simplement servi par une femme de chambre alsacienne et une cuisinière bretonne.
Pendant 35 ans, il habita un appartement parisien de la famille de Torcy, au n° 2 de la rue Tronchet.
La guerre de 1914 ne ralentit pas son effort, pourtant âgé de plus de 81 ans, sacrifiant comme ses confrères au genre « patriotique ».
En 1920, contractant une double pneumonie, il dut se retirer à Mortagne, auprès de son frère Henry l’ancien sous préfet devenu maire de cette ville. Il mourut le 20 Juin 1920, à l’âge de 88 ans. Il est enterré au cimetière de cette ville.
Si le Ministre de l’Instruction Publique, Georges Leygues, lui avait fait obtenir la Légion d’Honneur, il avait toujours refusé de se présenter à l’Académie Française, prétextant que son public, essentiellement populaire, composé de gens modestes, attendait de lui des feuilletons au péripéties multiples et qu’il se devait d’abord à ce public qui avait fait de lui ce qu’il était.
Le souvenir de Charles Mérouvel flotte encore çà et là comme la brume sur les étangs du Perche qu’il affectionnait tant. Il avait abandonné sa propriété de Mérouvel à la mort de sa femme et l’avait mise en location.. Reprise par la famille c’est la plus ancienne des demeures de Mérouvel et la rue porte désormais ce nom.
Jean-Luc Paulhe
Les Amis de l’Aigle
(1) Les Amis de L’aigle l’ont visité lors de leur sortie du 30 juin 2013.
Bibliographie :
-
« Charles Mérouvel », par Maurice Dubourg, publié par « Le Mois à Caen » Décembre 1973
-
« Un aiglon renommé, Charles Mérouvel », par Jeanne Mouchel, publié par « Au Pays d’Argentelles » La revue culturelle de l’Orne, Avril 1977, N°4